Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/79

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excitées par la vue abstraite du monde extérieur ou du monde intérieur que nous donne la science ou la philosophie. Mais par un progrès naturel de la réflexion, le poète ne s’est pas contenté de prendre la science et la philosophie pour prétexte de ses émotions, il les a prises pour matière de ses poèmes, persuadé « que le vers est en effet la forme la plus apte à consacrer ce que Técrivain lui confie, et que l’on peut lui confier, outre tous les sentiments, presque toutes les idées». (Préface au Poème de la Justice.)

La seconde raison que je voudrais indiquer est une conséquence de la poétique même de l’École parnassienne. « Les grandes découvertes, dit Sully-Prud’homme lui-même dans sa préface du Bonheur , lui semblent si émouvantes qu’il ne se résout pas à les exclure de domaine poétique, pour peu que les formules en puissent être transposées dans la langue littéraire : il y a là une difficulté d’art qui l’attire. » L’aveu est précieux à recueillir. C’est l’attrait de la difficulté à vaincre qui excite le poète. Nous reconnaissons bien là l’influence de l’École Parnassienne qui mesure la valeur du poète à son habileté technique de versificateur, impose à ses adeptes des tours de force variés, le culte de la rime riche, les dislocations du sonnet, du pantoun, de la sextine, et de tous les petits poèmes à forme fixe. Songez par exemple que dans le Poème de la Justice, sauf dans deux ou trois chapitres, Sully-Prud’homme s’est donné pour tâche d’exprimer ses idées par thèse et antithèse, que la thèse est exprimée par un sonnet, l’antithèse par trois quatrains et demi en vers de huit syllabes, et que les deux derniers vers du quatrième quatrain servent toujours de transition au sonnet suivant. On nous raconte que Benserade avait mis en madrigaux toute l’histoire romaine: mettre la morale et la sociologie en sonnets et en quatrains me paraît un tour de force tout aussi remarquable.

Ce qui a séduit Sully-Prud’homme, c’est, avec l’attrait de la difficulté, l’amour de la formule. Il y a, dans la langue