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Page:Journal (Lenéru, 1945).pdf/244

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240 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

La musique est, jusqu’ici, ce qui a le mieux racheté les fem- mes. Une musicienne prend aux rythmes dont elle s’électrise un autre mouvement psychique, une autre manière de battre sa vie, et la pulsation des maîtres, en venant frapper ses veines, éduque presque gymnastiquement son amorphisme de corps et d’âme.

5 juillet.

La vie est assez miraculeuse pour être toujours suffisante, et si nous n’étions pas des êtres limités, forcés de choisir, nous ne consentirions probablement jamais à l’ennui.

Mais, ne pouvant tout vivre, des jours faibles deviennent insupportables, parce qu’ils sont de la vie forte, perdue, volée, Il y a dans l’ennui une comparaison, un désir insatisfait tout autant qu’une satiété.

L’ennui, c’est l’état de grâce du scepticisme.

Je ne choisis absolument pas mes lectures. Il n’y à jamais qu’un livre que je puisse lire à un moment donné, et celui-là décide de l’autre, Ne lisez pas, si vous avez besoin de « pro- grammes » et de « méthode » et si vous ne comprenez pas à quel point lecture oblige.

On dira de Loti ce qu’on voudra, mais quand je ne peux plus supporter une phrase de littérature, je le lis encore.

Il n’y a que la vie physique : avoir remué sous tous les ciels. Au fond, dans la forme même des plus intellectuelles élucu- brations, il n’y a que son apothéose.

Contemplation, action ? Il n’y a pas d’essentielle différence. Il faut seulement savoir sion veut la vie au premier ou au second degré. *

Qu’est-ce que j’inventerai pour me consoler de la marine ? « Rentrer à bord » le canot du soir, habiter les Océans, dormir sur rade… Avez-vous jamais regardé l’horizon comme un lieu où l’on « rentre » ? Nostalgie prédominante cette fois-ci en