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280 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

dont il se souvenait. Toute discussion à cet égard n’est qu’une revanche d’humilié. Je n’ai jamais approché une foule sans éprouver immédiatement, non pas ce que doit être l’orgueil, mais la sensualité du pouvoir. Ah ! personne comme moi ne saurait plus gravement ressentir l’émotion des vanités !

Il faut prendre garde, il y a chez nous trop d’ascétisme ré- flexe, trop de mortifiés sans le savoir. Nous gardons les dé- goûts du christianisme, mais nous en avons aboli les soifs. « Soyez des âmes de désir », disait, au moins, sainte Thérèse.

Toute avidité complète nous choque, et nous croyons avoir gagné quelque chose quand nous nous sommes fait un dégoût. Seus peine d’impuissance le non-appétit doit être une satiété.

7 janvier.

De toute ma force je lutte contre cette superstition : l’âge. C’est un reste d’astrologie. Quel rapport entre les rotations, les révolutions de la Terre et nos activités ? Ma maturité fut de 15 à 30, ma jeunesse aura lieu ensuite, et l’on verra ce que dix, quinze ans de moins pourront contre moi.

IO janvier.

Natura non facit saltus. Si l’on avait l’imagination du pas- sage, la mémoire des transitions, si nous pouvions saisir la con- tinuité du mouvement, on verrait à quel point rien d’étranger n’arrive, et comme nous sommes déjà où nous devons aller. Sans les repères extérieurs, toute élévation paraîtrait si nor- male, qu’elle ne donnérait même pas le sens d’un déplace- ment. Et nous avons le respect de l’impossible !

13 janvier.

Une pièce est mauvaise, ridicule, mal faite, maïs c’est du théâtre ! Votre maïs est un sot ! Je n’admets pas cet argument,