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Pareille invasion de mots nouveaux n’a pas été, on le pense bien, sans faire subir de profondes moditications aux phonèmes grecs eux-mêmes ; et cela non seulement pour les termes ainsi introduits, mais encore pour le répertoire entier, quelles que soient ses diverses provenances. Rien de plus curieux, en effet, que d’entendre parler un Rouméliote : le ton général, la modalité de son grec est quelque chose sui generis qui surprend au plus haut point des personnes même familiarisées avec d’autres dialectes[1]. C’est que les sons les plus étrangers à la langue grecque s’y succèdent comme b, dj, d, gu, j, ch, tch, kch ; u, eu, ê turc[2], mêlés aux sons propres au grec : β, γ, δ, θ, χ. À la réflexion on constate que l’alphabet rouméliote s’est en somme enrichi de toutes les voyelles et consonnes de l’alphabet turc qui lui manquaient, ni plus ni moins. C’est ce qui nous a déterminé à suivre, pour notre présente étude, l’ordre de l’alphabet turc. Cf. infra, p. 78 et suiv.

Est-ce à dire toutefois que ce soit là l’œuvre exclusive du commerce avec les Turcs ottomans ? Il serait, je crois, très faux de l’affirmer. Quand Andrinople fut prise par Amurat Ier en 1360, bien des mots étrangers d’origine franque, slave, albanaise, valaque, etc., devaient y être courants[3], comme de

  1. J’ai connu une personne ayant longtemps habité Chypre, où cependant le langage des paysans est bien curieux aussi, ne pouvant, durant des années, retenir son hilarité, en entendant parler le pur andrinopolitain.
  2. Et cependant nous n’étonnerons personne en affirmant que les Grecs, même les plus cultivés, s’ils ne s’y sont pas pris assez à temps, ont les plus grosses difficultés à vaincre pour prononcer facilement et correctement nos sons vocaliques u et eu, ainsi que les palatales j, dj, et les chuintantes ch, tch, kch. Rien de plus fréquent que d’entendre un Grec de la haute société dire : « Zé souis très héré d’in sóse » pour « je suis très heureux d’une chose » ; on bien en patlanL turc : « guétirédzék, guitmís » pour « guéirédjék, guitmích ». L’Andrinopolilain, avec la richesse des sons que comporte son dialecte, échappe à ces difficultés.
  3. Cf. l’intéressant travail de M. A. Triandaphyllidis sur les mots étrangers dans le grec médiéval : Die Lehnwörter d. mittelgriech. Vulgärliteratur, Strassburg, K. Trübner, 1909. Cet ouvrage, bien documenté et muni de plusieurs