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ANNÉE 1910

je n’ai pas sur eux d’idées préconçues. Pour laisser au drame toute sa valeur de généralité, j’ai besoin, au contraire, de personnages normaux et s’il se peut, de personnages-types.

Le « caractère » — à la Meredith par exemple — est une espèce de jeu, une facilité, une exagération et « tout ce qui est exagéré est insignifiant ». La Bruyère est infiniment plus vrai, plus observateur dans ses chapitres sur le cœur et sur les femmes que dans ses trop amusants caractères. Hélène et Philippe, qui sont tout le monde, ne sont pas moins eux-mêmes que Marthe, un peu plus spéciale, parce que moins en profondeur.. Je le redis sans cesse. Le pittoresque est un accident de surface, et ce seront toujours les personnages à côté qui donneront chez moi cette impression de « caractère » à la naturaliste. Mais je prie qu’on fasse attention et qu’on ne confonde pas le caractère et la vie. Si l’on nous dramatisait, ni vous ni moi ne serions des caractères, en sommes-nous moins vivants ? Le bossu est-il plus vrai que nous ? Le militaire plus vrai que le civil ? Le bourgeois plus vrai que l’homme du monde ? L’amoureux que le non-amoureux ? Et je vous le dirai même, la vérité de César Birotteau qui, à chaque instant, s’élève et retombe sur ses pieds, ne gagne pas du tout pour moi à l’adjonction arbitraire d’un tic. Voilà certes, où Balzac est imitable !