Page:Journal des économistes, 1847, T18.djvu/147

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Ainsi, comme tout ce qui est rationnel s’enchaîne nécessairement, l’école de Quesnay, partant de la liberté et de la propriété comme principes, rencontra sur son chemin cette autre vérité de sens commun, qui est la première loi du travail, l’économie des frais de production, loi à laquelle les vagues inspirations du sentiment ne sauraient porter atteinte sans marcher contre leur propre but et sans produire, en méconnaissant le principe de l’utile, autant de mal dans l’ordre moral que dans l’ordre matériel.

Aussi peut-on en quelque sorte résumer en ces termes le langage qu’elle vint tenir à ses contemporains :

« Considérez-vous tous comme consommateurs, ce qui n’est pas une hypothèse, mais une réalité, et vous jugerez bientôt de la valeur des croyances qu’on vous prêche en matière d’industrie et de commerce.

« On vous enseigne que la richesse consiste dans l’abondance des métaux précieux. Comment ne voyez-vous pas que ces métaux, en tant que monnaie, ne sont que des instruments d’échange ? qu’il est des moyens de suppléer à l’argent sous ce rapport, tandis que l’on ne remplace point les biens consommables, ceux qui servent à l’existence de la société ? Quelle est donc la véritable richesse, ou de la chose dont on se passe très-bien, ou de celle dont on ne peut se passer ?

« On vous dit qu’il faut empêcher l’exportation des produits bruts pour que le pain ne soit pas cher, et que les matières premières de l’industrie soient à bon compte, ce qui encouragera puissamment les manufactures et le commerce. Mais, d’abord, que penseriez-vous du moyen d’encourager l’agriculture en mettant obstacle à l’exportation des produits fabriqués ?

Ensuite, est-ce une méthode bien rationnelle de procurer plus de profits et de salaires aux manufacturiers et aux commerçants, que de diminuer la masse des choses qui servent à payer ces salaires et ces profits ?

On répond que l’étranger achètera leur travail. L’achètera-t-il plus chèrement, et plus constamment, que la classe agricole et les propriétaires ? Et, d’ailleurs, comment l’étranger pourrait-il acheter beaucoup, puisque vous voulez qu’il ne vende pas ou qu’il ne vende guère, conséquemment à la théorie de la balance du commerce ?

« On vous dit encore qu’il faut prohiber l’importation des ouvrages d’industrie, toujours dans le but de favoriser les manufactures et le commerce, qu’on appelle le travail national, et d’accroître la force de l’État par une grande population. Est-ce donc que par hasard l’agriculture serait un travail moins national que celui de tisser la laine, le coton et la soie, ou de distribuer dans le monde les richesses de tout genre qu’on y a produites ? Quant à la population, craignez-vous qu’elle manque jamais là où se rencontre la richesse ; et faut-il la désirer où celle-ci n’existe point ? Prohiber l’importation des produits fabriqués, c’est avilir la valeur du produit de la terre ; mais avilir cette valeur, c’est apporter des obstacles à l’extension de la culture.