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230 JOURNAL DES ÉCONOMISTES.

Le chiffre des dépenses porté ci-dessus ne tient pas compte des pertes d’intérêt pendant de longues années des capitaux alloués annuellement aux frais de construction. Ce calcul conduirait à porter la dépense à 600 millions au moins ; mais les chiffres ci-dessus suffisent pour faire voir quelles ont été les illusions qui ont présidé au début de cette entreprise. On s’attendait à des avantages tels qu’ils pourraient tenter des Compagnies qui n’auraient demandé à l’État que la concession temporaire du péage ; or, ce péage ne suffit même pas à payer les frais d’entretien, et, pour avoir aujourd’hui quelques transports, il est question de le supprimer. Ce fut avec le même enthousiasme et les mêmes illusions que, dix ans plus tard, commencèrent les chemins de fer. Il a fallu en faire aussi, parce que les nations voisines en faisaient ; il fallait se hâter de prendre les devants, pour qu’on ne nous enlevât pas le transit de certains transports ; il fallait en faire là, parce que les contrées étaient riches, et ici, parce qu’elles étaient pauvres ; il fallait en faire à droite, il fallait en faire à gauche. Quand quelques-unes de ces entreprises ont été terminées, la joie a éclaté en transports, en bals et en festins. Cependant, le résultat brut se réduisait à ce que de malheureux actionnaires, qui avaient donné 500 fr. il y a quelques années, se trouvaient avoir les uns 300 fr., les autres 200 fr., les autres 100 fr. N’était-il pas bien juste de consacrer par quelques fêtes le sacrifice de tous ces millions sur l’autel de l’industrie ? Les historiographes et les panégyristes de ces fêtes avaient soin de ne pas dire un mot des malheureux actionnaires qui voyaient engloutir là les économies de toute une vie de travail, et auxquels on faisait encore payer les violons au son desquels dansaient ceux qui les avaient dévorées. Si par hasard quelque cri plaintif était poussé, on l’étouffait bien vite en faisant résonner la grosse caisse et les timballes de la presse périodique. Cependant ce charlatanisme ne pouvait avoir qu’un temps, et les plus fougueux partisans des chemins de fer serraient les cordons de leur bourse lorsqu’on leur présentait les listes de souscription. Mais il était irapossible qu’on s’arrêtât en si beau chemin. On fit ce raisonnement bien simple : les chemins de fer ne sont une mauvaise spéculation que parce qu’ils ne rapportent que la moitié, le tiers ou le quart du capital dépensé ; c’est une difficulté bien facile à lever, l’Etat n’a qu’à fournir le capital sans intérêt et donner le péage gratuitement, et voilà toutes les mauvaises affaires qui deviennent bonnes. On regretta beaucoup de n’avoir pas eu recours plus tôt à cet expédient, et on se mit de nouveau à l’œuvre sur cette base. Et nous ne voyons pas, en vérité, où on s’arrêtera. On parle déjà de chemins de fer pour lesquels les Compagnies ne se contentent plus du capital de construction ; il faudra, après avoir payé pour faire le chemin, payer pour l’exploiter. Qu’à cela ne tienne, on payera ! Ce système nous paraît être le bouleversement complet, non-seu-