Page:Journal des économistes, 1859, T24.djvu/407

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’est point acceptable à l’égard des travailleurs de la première catégorie, et l’on pourrait seulement supposer de ceux-là qu’ils pussent fort bien se passer du secours de leurs bras.

On pourrait dire autre chose encore : c’est qu’il y a toujours dans l’œuvre intellectuelle un élément immatériel qui survit à la destruction de la matière, élément qui ne se trouve point dans l’œuvre du travail physique, laquelle, quand elle périt, périt tout entière. Je n’ai pas le loisir de chercher des exemples ; on doit comprendre à demi-mot.

Une chose ressort de cette double observation : c’est que le nom de richesse intellectuelle est parfaitement approprié à la richesse qui nous occupe. En général, il ne faut pas se laisser exclusivement guider par les pressentiments du sens commun ; ici, nous eussions pu nous y confier sans risquer de nous égarer.

On peut savoir dès à présent qui sont les producteurs intellectuels, comme les appelle M. F. Passy. Ce sont les artistes, écrivains, musiciens, etc. — Oui ; mais ce sont aussi les avocats, médecins, magistrats, administrateurs, employés, etc. Car on ne peut nier que ces travailleurs ne doivent être rangés rigoureusement dans notre première catégorie. Maintenant il est assez clair que ce n’est pas sans raison que M. F. Passy ne les a point ciblés comme producteurs de richesse intellectuelle, et que leur rôle n’est pas de tout point assimilable à celui de ces producteurs. Il y a donc encore ici pour nous une distinction capitale à signaler.

C’est celle-là que, pour ma part, je vais demander à la consommation ; mais je vais le faire autrement que M. V. Modeste.

Tous les résultats du travail, sans exception, sont destinés à la satisfaction de nos divers besoins ; toutefois ils n’arrivent à ce but que plus ou moins directement. Parmi tous ces objets destinés à la consommation, les uns y sont livrés immédiatement et ne survivent point au premier usage que l’on en fait, les autres, au contraire, demeurent après chaque service qu’ils nous rendent, et chacun de ces services consiste à nous fournir quelque objet du premier genre. Me conformant à une définition déjà produite dans la science économique, je nommerai ces objets, les uns revenus, les autres capitaux[1]. Si j’analyse ensuite avec soin le rôle des divers travailleurs intellectuels, je découvre que les uns produisent des capitaux et les autres des revenus. L’œuvre d’un artiste, le livre d’un écrivain, l’opéra d’un musicien, etc., sont des objets qui demeurent après chaque service qu’ils nous rendent, et chacun des services qu’ils nous rendent se résume dans la production et la consommation d’un revenu. Un plaidoyer d’avocat, une consultation de médecin, un jugement de magistrat, un arrêté d’administrateur, un compte d’employé, etc., sont des objets qui ne survivent point au premier usage que l’on en fait et qui,

  1. M. Walras, Théorie de la richesse sociale, chap. iv.