Page:Journal des économistes, 1859, T24.djvu/412

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que je me suis longuement et impitoyablement appesanti sur les quelques lacunes de l’ouvrage, en ne faisant que très-légèrement valoir ou même en passant complétement sous silence ses parties les plus saillantes et ses nombreuses qualités. MM. Frédéric Passy, Victor Modeste et P. Paillottet, j’en suis assuré, ne m’en voudront pas. Moins préoccupés des intérêts de leur amour-propre que du progrès de la science et du triomphe de la vérité ils m’en remercieraient plutôt.

Je ne veux pourtant pas finir sans les louer encore de leur persévérance à rétablir les droits de la méthode rationnelle contre l’empirisme sentimental. — Laissons faire la justice ; elle trouvera ce qui convient, ont-ils dit tous les trois avec sir Noon Talfourd. — Élevons le drapeau du principe absolu, a dit en particulier M. Victor Modeste avec Bastiat. Cette tendance excellente devait infailliblement guider les trois économistes dans la voie de la vérité, tout à la fois théorique et pratique. C’est en effet la moralité des débats qui se sont élevés au sujet de la propriété intellectuelle, comme c’est aussi celle de toutes les controverses économiques et morales de notre temps, que les principes absolus de la justice ne sauraient être en contradiction avec les intérêts ; qu’il ne peut y avoir de pratique satisfaisante que celle qui repose sur une théorie inattaquable ; que le vrai seul est le chemin et de l’utile et du bien. Et ainsi tombent dans un complet discrédit, aux yeux de tous les hommes sincères et laborieux, les arguments superficiels des gens qui, tout en accordant la vérité des principes, contestent néanmoins l’utilité, la moralité, quelquefois même la possibilité des applications.

Un publiciste que j’ai déjà cité, auquel je reviens en terminant parce que ses doctrines sont éminemment caractéristiques de certaines tendances, M. Louis Blanc, traitant du travail littéraire, conclut en ces termes :

« Non-seulement il est absurde de déclarer l’écrivain propriétaire de ses œuvres, mais il est absurde de lui proposer comme récompense une rétribution matérielle. Rousseau copiait de la musique pour vivre et faisait des livres pour instruire les hommes. Telle doit être l’existence de tout homme de lettres digne de ce nom[1]. »

Cette conclusion sentimentale a été reproduite à satiété. La seule modification qu’y aient faite nombre de gens a été de substituer à la musique de Rousseau les verres d’optique de Spinosa. Eh bien ! cette conclusion, il faut le dire, n’est pas seulement opposée à la vérité des lois naturelles, à l’équité des principes moraux ; elle est encore, pour cent raisons, en contradiction avec les exigences d’une saine pratique.

L’écrivain consciencieux, celui qui s’endort avec les préoccupations de son sujet, qui les retrouve à son réveil, n’a pas trop de tout son temps.

  1. M. Louis Blanc, Organisation du travail, p. 125.