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Page:Jovy - Un document inédit sur le séjour de Jean-Jacques Rousseau à Grenoble en 1768, 1899.djvu/168

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s’empêcher de juger sévèrement celui dont on a pu dire que les théories, après avoir servi pour détruire en bloc, et sans discernement, toute l’organisation civile et politique de l’ancienne France, s’étaient rajeunies et revêtues de formes nouvelles et n’avaient cessé de circuler au milieu de nous comme un dissolvant qui empêche la reconstruction de la France moderne (’) :

Comment, au reste, la Kévolulioii française n’aui’ail-flle pas adopté J.-J. Rousseau pour son législateur ï II est lui-niôrue à cette Révolution ce que le germe est à l’arbre. Il la représente d’avance et la personnifie, autant qu’un individu j^eut représenter un système social.

Celui qui i)énétrerait dans le fond et les replis de la vie de J.-J. Rousseau, y verrait comme enveloppée l’histoire de la Révolution française dans le bien et dans le mal ; il lui lègue non seulement ses idées, mais son tempérament. Cet ouvrier, d’abord timide, tant qu’il est inconnu, puis orgueilleux, ombrageux, dès qu’il entre dans la gloire, n’est-ce pas l’avant-courem* du peuple émancipé ? Il professe que tout est bien dans l’homme ; il finit par trouver le genre humain suspect. Philanthrope, il s’avance chaque jour vers une misanthropie implacable. Il est étranger et il n’en représente que mieux une Révolution qui s’arme contre toutes les traditions. Son livre de la loi, le Contrat social^ ne relève d’aucun temps, d’aucune expérience : géométrie sociale, sorte de mathématiques civiles pour un peuple à qui l’histoire se montre en ennemie.

Rousseau se croit trahi par tous les siens ; pas un ami qu’il

(1) Comp. Jean Izoulet, Les quatre problèmes sociaux, le( ; on d’ouverture du Cours de Philosophie sociale, taite au Collège de France le 16 décembre 1897, dans Revue bleue, 4 « série, tome IX, 8 janvier 1898, p. 46 : « Malheureusement après ces commotions la France n’arrive plus à se rasseoir dans une foi nouvelle. Et tous ceux qui ont l’instinct national, sentent bien que la patrie morale est en danger. En quoi donc sommes-nous dévoyés ou fourvoyés ? Est-ce Rousseau qui s’est trompé et qui a égaré la Révolution ? Est-ce la Révolution qui a mal compris Rousseau ? C’est ce qu’il ne nons paraît pas impossible d’arriver à démêler enfin. En cet obscur problème, combien précieux nous serait la moindre clarté. Car il n’est que trop vrai que nous errons dans la nuit, à la merci des pires hasards. Une orientation dans les ténèbres de la France, voilà ce que nous demandons tous, et voilà ce que nous cherchons avec avidité… »