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suite incroyable de louanges, de vers, d’éloges et de larmes à ce tombeau, jusqu’aux jours où le tombeau de Laure elle-même, si chaste dans sa vie, fut livré aux révolutionnaires, qui ouvrirent sa dernière demeure, et en jetèrent les cendres au vent. Que fîtes-vous alors pour vous défendre, vous la belle et blanche Laure, vous qui, surprise au bain par votre amoureux, vous fîtes un nuage des eaux transparentes de la fontaine de Vaucluse ? Mais quoi ! les révolutions ne respectent rien. Comme elles ouvrirent le tombeau de Laure, elles ouvrirent aussi celui du brave Crillon, placé dans la même église, Crillon, qui n’était pas à la bataille d’Arques, mais qui était dans son tombeau, tout entier, quand les révolutionnaires osèrent porter la main sur lui.

Telle est la source limpide et pure, tel est le filet d’eau transparente choisi tout exprès dans les ondes fraîches et poétiques de la fontaine de Vaucluse, qui a donné naissance à ce fétide marais qu’on appelle le marquis de Sade. Comment la fontaine sacrée a produit tant de fange, comment elle a pu déposer ce limon impur sur ses bords, comment le mélodieux et chaste retentissement des sonnets de Pétrarque a eu pour dernier écho tant de livres infâmes, dont le nom seul est une honte, Dieu le sait ; mais Laure ne le sait pas, sans doute. Ô mon Dieu ! que dirait-elle si elle savait de quelles œuvres elle est l’aïeule, et à quelle infâme créature elle a donné le jour ! Et Pétrarque, que dirait-il ?

Ici je suis forcé encore de faire la biographie de plusieurs honnêtes gens, ascendans directs de l’homme en question. Vous n’en verrez que mieux quelle grande fatalité a dû peser sur cette honorable famille, et quels sont ces malheurs imprévus dont le ciel frappe de temps a autre les plus vieilles maisons pour les mettre au niveau de tout ce qu’il y a d’impur au monde. Voila, voila, en effet, de tristes et amères leçons d’égalité.