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cette horrible lecture, de se voir poursuivi par ces tristes fantômes, et d’assister, timide, immobile et muet, à ces lugubres scènes, sans pouvoir se venger qu’en lacérant le volume ou en le jetant au feu ! Croyez-moi, qui que vous soyez, ne touchez pas à ces livres, ce serait tuer de vos mains le sommeil, le doux sommeil, cette mort de la vie de chaque jour, comme dit Macbeth.

Peut-être, et vous êtes dans votre droit, vous voulez savoir par quel hasard, ou plutôt par quel malheur, les œuvres du marquis de Sade me sont connues, et vous vous étonnez sans doute que j’ose ainsi avouer tout haut cette lecture abominable. Vous avez raison, mon honnête lecteur. C’est à juste titre que vous vous étonnez qu’un homme de sens n’ait pas rejeté dès la première page un livre infâme où l’on outrageait ainsi à chaque ligne toutes les lois de la terre et du ciel. Pourquoi ne pas jeter le livre aussitôt, ou tout au moins pourquoi ne pas se taire ? dites-vous tout haut. Et puis tout bas ajoutez en vous-même : Croyez-vous donc que nous ne l’avons pas lu, ce livre, nous autres les vieillards de l’empire, nous les jeunes gens de la restauration ? Eh ! messieurs, c’est justement parce que vous l’avez lu, que je vous en parle ; c’est justement parce que nous avons tous été assez lâches pour parcourir ces lignes fatales, que nous devons en prémunir les honnêtes et les heureux qui sont encore ignorans de ces livres. Car, ne vous y trompez pas, le marquis de Sade est partout ; il est dans toutes les bibliothèques, sur un certain rayon mystérieux et caché qu’on découvre toujours ; c’est un de ces livres qui se placent d’ordinaire derrière un saint Jean Chrysostome, ou le Traité de morale de Nicole, ou les Pensées de Pascal. Demandez à tous les commissaires priseurs, s’ils font beaucoup d’inventaires après décès où ne se trouve pas le marquis de