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sortit de prison, il fut libre. — Fasse le ciel qu’il soit heureux ! disait sa belle-more.

Alors, arriva bientôt 92, puis 93 ; vinrent les réactions sanglantes, vinrent les dictateurs tout puissans, vinrent Danton et Robespierre ; alors toutes les places publiques furent encombrées de ces machines rouges qui marchaient du matin jusqu’au soir. Vous croyez peut-être que le marquis de Sade, après tant de meurtres ébauchés, l’homme sanglant, va enfin se livrer à cœur-joie à sa manie de carnage, et se repaître, au pied de l’échafaud, de supplices et de larmes ! Vous ne connaisse pas cet homme : les bourreaux de 93 lui font pitié. Il ne comprend pas la mort politique, il a horreur du sang qui n’est pas répandu pour son plaisir. Pourtant il y avait parmi les vidimus de 93 bien des femmes jeunes et belles, bien des jeunes gens d’une grande espérance et d’un grand nom ; il y avait là des larmes bien amères, et jamais, que je pense, un homme de ce caractère ne fut à une plus complète et plus charmante fête de meurtres et de funérailles : mais, je vous l’ai dit, cet homme dans ses livres avait combiné des supplices si impossibles, revé des morts si extraordinaires, arrangé des tortures si cruelles, qu’il ne prit aucun goût a la Terreur. Au contraire, il fut bon, humain, clément, généreux. Sur la réputation de ses livres, on l’avait fait secrétaire de la société des Piques ; il profita de son pouvoir pour sauver les jours de son beau-père et, de sa belle-mère, à qui il était odieux à si bon droit, et qui ne l’avaient pas épargné. En un mot, il alla si loin dans son horreur pour le sang, qu’il fut accusé d’être modéré, qu’il fut déclare suspect et emprisonné aux Madelonnettes. S’il n’est pas mort sur l’échafaud comme ancien noble, c’est sans doute par respect pour son génie. En un mot, tant qu’on ne fut occupé dans Paris que de massacres,