Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/169

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Il y a encore une consolation, même si l’on est attaché au grand mât ou enchaîné à fond de cale ; il y a l’espérance d’arriver à être officier à son tour, et l’on a le droit de souffleter le capitaine.

Turfin, lui, peut me tourmenter tant qu’il voudra, sans que je puisse me venger.

Mon père peut me faire pleurer et saigner pendant toute ma jeunesse ; je lui dois l’obéissance et le respect.

Les règles de la vie de famille lui donnent droit de vie et de mort sur moi.

Je suis un mauvais sujet, après tout !

On mérite d’avoir la tête cognée et les côtes cassées, quand, au lieu d’apprendre les verbes grecs, on regarde passer les nuages ou voler les mouches.

On est un fainéant et un drôle, quand on veut être cordonnier, vivre dans la poix et la colle, tirer le fil, manier le tranchet, au lieu de rêver une toge de professeur, avec une toque et de l’hermine.

On est un insolent vis-à-vis de son père, quand on pense qu’avec la toge on est pauvre, qu’avec le tablier de cuir on est libre !

C’est moi qui ai tort, il a raison de me battre.

Je le déshonore avec mes goûts vulgaires, mes instincts d’apprenti, mes manies d’ouvrier.

Mes parents m’ont donné de l’éducation et je n’en veux plus !

Je me plais mieux avec les laboureurs et les savetiers qu’avec les agrégés ; et j’ai toujours trouvé mon oncle Joseph moins bête que M. Beliben !…