Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/189

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chaise longue ; — elle sourit tout de même et elle se fâche quand nous voulons nous taire à cause d’elle.

« Non, non, amusez-vous, je vous en prie. Cela me fait plaisir, cela me fait du bien, amusez-vous. »

Sa voix s’arrête, mais son geste continue et nous dit :

« Amusez-vous ! »


CHÔMAGE


La vie change tout d’un coup.

J’ai été jusqu’ici le tambour sur lequel ma mère a battu des rrra et des fla, elle a essayé sur moi des roulées et des étoffes, elle m’a travaillé dans tous les sens, pincé, balafré, tamponné, bourré, souffleté, frotté, cardé et tanné, sans que je sois devenu idiot, contrefait, bossu ou bancal, sans qu’il m’ait poussé des oignons dans l’estomac ni de la laine de mouton sur le dos — après tant de gigots pourtant !

À un moment, son affection se détourne. Elle se relâche de sa surveillance.

On n’entendait jadis que pif, paf, v’lan, v’lan, et allez donc ! — On m’appelait bandit, sapré gredin ! — Sapré pour sacré ; — elle disait aussi, bouffre pour bougre.

Depuis treize ans, je n’avais pas pu me trouver devant elle cinq minutes — non, pas cinq minutes, sans la pousser à bout, sans exaspérer son amour.

Qu’est devenu ce mouvement, ce bruit, le train-train des calottes ?