Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/196

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« Mange, voyons, ne te gêne pas, mange à ta faim. »

Ah ! puisque le maître de la maison me le recommande ! et je me jette sur le ris de veau.

Pas de pain ! pas de pain !

Le veau et le poisson se rencontrent dans mon estomac sur une mer de sauce et se livrent un combat acharné.

Il me semble que j’ai un navire dans l’intérieur, un navire de beurre qui fond, et j’ai la bouche comme si j’avais mangé un pot de pommade à six sous la livre !

Le dîner est fini : il était temps ! M. Laurier me renvoie, non sans mettre son binocle pour regarder les dessins dont j’ai tigré mon pantalon bleu ; le repas finit en queue de léopard.


7 heures et demie.

Je suis étendu tout habillé sur mon lit ; un bout de lune perce les vitres ; pas un bruit !

J’ai la tête qui me brûle, et il me semble qu’on m’a cassé le crâne d’un côté.

Je me souviens de tout : du pain qui manquait, du poisson qui nageait, du veau qui tétait…

Ça ne fait rien ; je puis me rendre cette justice, que j’ai au moins conservé les belles manières. J’ai souffert, mais je suis resté loin de la table, je n’ai pas eu l’air de mendier mon pain ; j’ai été fidèle aux leçons de ma mère.


9 heures.

Deux heures de sommeil ; le mal de tête est parti.