Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/219

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en nous traînant, ma mère disant à mon père : « C’est ta faute ; » mon père répondant : « C’est trop fort ; est-ce que ce n’est pas toi !

— Ah ! par exemple ! »

Nous avons hélé des isolés qui passaient par là ; nous avons même cru voir une chaise à porteurs, mais nos cris se sont perdus dans l’espace.

La lune est dans son plein — toutes mes nuits qui datent l’ont eue jusqu’ici pour témoin.

Elle inonde la place de ses rayons, et nous tachons l’espace de notre ombre. C’est même curieux.

J’ai l’air énorme avec mon échafaudage biblique, et quand mon père ou ma mère courent après un colis qui est tombé, les ombres s’allongent et se cognent sur le pavé. — Mon père a un nez !

Je ne puis pas rire ; — si je riais, je laisserais encore échapper quelque chose ; — puis, je n’ai pas grande envie de rire.


« Quelqu’un là-bas ! »


Je me tourne comme une paysanne qui porte un seau, comme un jongleur qui attend une boule ; j’ai la tête qui m’entre dans la poitrine, les bras qui me tombent des épaules, j’ai l’air d’un télescope qu’on ferme.

« Quelqu’un !

— C’est une femme ! Je te dis que c’est une femme !

— Sur quoi est-elle montée ?

— Sur quoi ?