Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/234

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matin, dans la cabine, en face du pied de cochon grillé et du petit vin jaune.

Ma mère est à côté de la dame de Paris, qui nous a placés à sa droite, ses fils et moi.

Je suis presque libre, je tombe sur les plats. Ma mère ne s’en plaint pas, et même elle se fâche à un moment parce que je refuse de quelque chose.

« Comme si on voulait le faire mourir de faim ! C’est bien à prix fixe, n’est-ce pas ? demande-t-elle à M. Chanlaire.

— Oui, deux francs par tête.

— Jacques, crie-t-elle aussitôt, mange de tout ! »

C’est jeté comme un cri des croisades, comme une devise de combat : « Mange de tout ! »

Cela s’entend par-dessus le bruit des cuillers et des fourchettes, et fait rire tout un coin de table.

Elle ne peut s’empêcher de s’occuper de moi, de la place où elle est, et veille toujours sur son enfant.

« Jacques, on ne fait pas des tartines de moutarde. — Jacques, tu sais bien que je ne veux pas qu’on suce ses doigts. — Veux-tu bien ne pas faire ce bruit en te mouchant ! — Jacques, tu ne sais pas manger les croupions ! »

Je la vois en ce moment qui ramasse en cachette et glisse dans sa poche des provisions qui traînent. On la remarque. J’en deviens rouge.

« Jacques, veux-tu bien ne pas rougir comme cela ! »

Ah ! elle m’a gâté mon plaisir… Je m’aperçois parfaitement que les voisins se moquent d’elle, et les maîtres de l’hôtel la regardent de travers. Puis j’au-