Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/294

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papier ; une cage noire pend à la fenêtre du second, au-dessus d’un pot de fleurs qui grelotte au vent.

Là demeure un pauvre, un Italien proscrit.

La première fois que je le vis, je frissonnai ; j’étais ému. Tout le passé de mes versions allait m’apparaître en chair et en os, représenté par un homme qui s’était baigné dans le Tibre : Tacite, Tite-Live, le cheval de César, la chèvre de Septimus, la torche de Néron !…

Mais comme ce logement est triste !

Une petite lampe qui brûle sur une table chargée de vieux livres, un chien qui me regarde en faisant les yeux blancs, et un homme à cheveux gris, avec de grosses lunettes, qui raccommode une culotte en guenilles.

C’était le Romain.

« Je viens de la part de mon père, M. Vingtras… »

Je lui remis une lettre qu’on m’avait chargé de porter. Il lut, je le suivais des yeux.

Quoi ! il venait de Rome ? Il était du pays des gladiateurs, ce vieux tout gris, qui avait l’air d’un hibou dans une échoppe de savetier et qui mettait un fond à son pantalon.

C’était son vexillum à lui, et cette aiguille était son épée ? Où donc son casque et son bouclier ? Il a un tricot de laine…

En regardant, je vis qu’il lui manquait trois doigts à la main ; c’était laid, ces bouts d’os ronds, et les autres doigts qui restaient avaient l’air de deux cornes.

Il trembla un peu en refermant la lettre.