Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tre un tas de livres qu’on lui a achetés pour qu’il ne s’ennuie pas trop.

Un Ésope avec des gravures coloriées.

Je me rappelle encore une de ces gravures qui représentait Borée, le Soleil et un voyageur.

Le voyageur avait de la sueur chocolat qui lui coulait sur le front et un énorme manteau lie de vin.


« Veux-tu t’amuser, m’aider à arroser les choux ? » me dit le père Soubeyrou, qui tient un arrosoir de chaque main et qui marche le pantalon retroussé, les jambes et les pieds nus, depuis le matin.

Son mollet ressemble, velu et cuit par la chaleur, à une patte de cochon grillé ; il a sa chemise trempée et des gouttes d’eau roulent sur le poil de son poitrail.

Non, je ne veux pas m’amuser, aider à arroser les choux !

Si ça l’amuse lui, tant mieux !

Je ne veux pas priver M. Soubeyrou d’un plaisir, et je lui réponds par un mensonge.

« Je suis tombé hier, et je me suis fait mal aux reins. »

J’aime les choux, mais cuits.

Je ne fuis pas le baquet maternel, la vaisselle de mes pères, pour venir tirer de l’eau chez des étrangers.

Je tire assez d’eau comme cela dans la semaine, et je sens assez l’oignon.

Non, M. Soubeyrou, je ne vous suivrai pas à ce puits là-bas : je ne tournerai pas la manivelle, je