Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/61

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Ma mère n’aime pas que je reste ainsi, muet, la bouche béante, à regarder couler l’eau.

Elle a raison, je perds mon temps.

« Au lieu d’apporter ta grammaire latine pour apprendre tes leçons ! »

Puis, faisant l’émue, affichant la sollicitude :

« Si c’est permis, tout taché de vert, des talons pleins de boue… On t’en achètera des souliers neufs pour les arranger comme cela ! Allons, repars à la maison, et tu ne sortiras pas ce soir ! »

Je sais bien que les souliers s’abîment dans les champs et qu’il faut mettre des sabots, mais ma mère ne veut pas ! ma mère me fait donner de l’éducation, elle ne veut pas que je sois un campagnard comme elle !

Ma mère veut que son Jacques soit un Monsieur.

Lui a-t-elle fait des redingotes avec olives, acheté un tuyau de poêle, mis des sous-pieds, pour qu’il retombe dans le fumier, retourne à l’écurie mettre des sabots !

Ah oui ! je préférerais des sabots ! j’aime encore mieux l’odeur de Florimond le laboureur que celle de M. Sother, le professeur de huitième ; j’aime mieux faire des paquets de foin que lire ma grammaire, et me mettre de la terre aux pieds que de la pommade dans les cheveux.

Je ne me plais qu’à nouer des gerbes, à soulever des pierres, à lier des fagots, à porter du bois !

Je suis peut-être né pour être domestique !

C’est affreux ! oui, je suis né pour être domestique ! je le vois ! je le sens !!!