Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/88

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lèvres et lui arrache un bon gros rire. À partir de ce moment-là, ils ne font plus que rigoler et ils se donnent même des tapes, au grand scandale de ma mère, qui s’écarte et manque de m’écraser dans mon coin, à la grande joie du petit vieux qui se frotte les mains et cligne de l’œil en branlant la tête.

Quand on arrive aux relais, ils descendent ensemble et je les vois à travers les fenêtres de l’auberge qui se passent les radis — toujours en riant — et s’allongent des coups de coude.

Le commis voyageur offre à la grosse un bouquet qu’un mendiant lui a vendu et demande qu’elle le fourre dans son corsage ; elle finit par mettre le bouquet où il veut.

Comme elle est plus gaie que ma mère, celle-là !

Que viens-je de dire ?… Ma mère est une sainte femme qui ne rit pas, qui n’aime pas les fleurs, qui a son rang à garder, — son honneur, Jacques !

Celle-ci est une femme du peuple, une marchande (elle vient de le dire en remontant dans sa voiture) ; elle va à Beaucaire pour vendre de la toile et avoir une boutique à la foire. Et tu la compares à ta mère, jeune Vingtras !


Nous arrivons à Saint-Étienne.


Il fait nuit ; mon père n’est pas là pour nous recevoir.

Nous attendons debout entre les malles. Il y a de la neige plein les rues et je regarde l’ombre des ré-