Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/9

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J’entends cela de temps en temps, et ma mère ajoute des mots que je ne comprends pas.

« Nous autres, les honnêtes femmes, nous mourons de faim. Celles-là, on leur fourre des places pour leurs maris, des robes pour leurs fêtes ! »

Est-ce que madame Grélin n’est pas honnête ? Que fait-elle ? Qu’y a-t-il ? pauvre Grélin !

Mais Grélin a l’air content comme tout. Ils sont toujours à donner des caresses et des joujoux à leurs enfants ; on ne me donne que des gifles, on ne me parle que de l’enfer, on me dit toujours que je crie trop.

Je serais bien plus heureux si j’étais le fils à Grélin : mais voilà ! L’adjoint viendrait chez nous quand ma mère serait seule… Ça me serait bien égal, à moi.

Madame Toullier reste au troisième : voilà une femme honnête !

Madame Toullier vient à la maison avec son ouvrage, et ma mère et elle causent des gens d’en bas, des gens de dessus, et aussi des gens de Raphaël et d’Espailly. Madame Toullier prise, a des poils plein les oreilles, des pieds avec des oignons ; elle est plus honnête que madame Grélin. Elle est plus bête et plus laide aussi.


Quels souvenirs ai-je encore de ma vie de petit enfant ? Je me rappelle que devant la fenêtre les oiseaux viennent l’hiver picorer dans la neige ; que, l’été, je salis mes culottes dans une cour qui sent mauvais ; qu’au fond de la cave, un des locataires engraisse des