Page:Kahn - Symbolistes et Décadents, 1902.djvu/110

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mander à cette suprême forme d’art, c’est non surtout la clarté, mais l’intensité et la musique ; la clarté se fait en vers autrement qu’en prose : en prose c’est par la netteté d’un terme connu correspondant à des idées connues que vous assimilez le leteur à l’auteur ; dans un poème, il faut d’abord l’assimiler à lui-même, mettre sa voix intérieure au rythme nécessaire par le groupement des voyelles et des consonnes, assimiler sa vision intérieure par le coloris général du poème et ainsi lui imposer l’idée que l’on développe, idée qui est en lui, mais qu’il en faut faire jaillir, dont il faut au moins le faire resouvenir. C’est d’avoir entrevu cette destination du poème que s’ennoblissent les plus beaux poèmes de Beaudelaire, l’Invitation au voyage, la Mort des amants, l’Âme du vin, le Vin du solitaire, Recueillement, le poëme en prose, les Bienfaits de la Lune, etc.

La caractéristique spéciale de Baudelaire serait une vue très lasse de la vie, et des antinomies profondes qui ne permettent le bonheur qu’en quelques minutes d’excitation où l’on peut s’élever par l’extase et qu’on peut rechercher par des moyens artificiels, en les payant ensuite de terribles abattements ; il y a dans son œuvre la force de l’habitude qui gâche jour par jour la vie et éternise le mal, le manque de l’extase intellectuelle, de ce qu’il a dénommé la santé poétique, aussi cette vision triste de la femme égoïste et futile, animal cruel ou animal lassé, bête à voluptés ruminantes, de l’homme accagnardé à des actes identiques, dont il connaît la sottise, mais y revenant par la puissance de l’heure ; il pense que l’être, qui pourrait aller vers le clair et le sain, se sent comme tiré vers l’obscur et le