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portraits

ne peut, dans la quête du vrai, prendre à son compte le langage des héros grandiloquents.

D’autre part, bien des intangibles vérités ne sont saisissables que par leurs contrastes qui sont, dans la vie, les douleurs, les misères, les ridicules. Un sentiment qu’un personnage de drame trouvera grand et exaltant, le philosophe le jugera petit et humble, non à cause de son essence, mais par la forme brève et incomplète qu’il prend en lui-même, en face de l’idée qu’il se forme de l’essence même de ce sentiment. Le philosophe ne peut oublier les contingences et les relativités et les points de contact cosmogoniques qui, à la rencontre, heurtent et abaissent l’enflure des âmes (il y en a toujours). Puis, tant qu’on ne peut conclure, et produire une vérité nouvelle forte d’évidence et qu’on doive prêcher, ne vaut-il pas mieux ne pas faire trop parade du sérieux de sa science et l’exprimer en souriant ? Donc c’est à travers le Paris mental et passionnel, contrastant avec le Paris quotidien et d’affaires, que Laforgue va en méditant, en écoutant, en répétant. Lors sa complainte est tantôt une sérénade à l’impossible, ou la parade du clown qui pourrait expliquer le sens des choses du cirque, mais ne veut qu’y faire réfléchir par un trait topique, encore un bilan de recueilli qui rentre en sa chambre de travail, et récapitule, d’une ironie un peu triste, les disproportions (d’autres diront monstruosités) qu’il entrevit tout le jour.

C’est étudier la disparate entre le possible et le réel que composer ainsi ; cette disparate est source d’effets comiques, oui, au premier degré ; mais elle est aussi