Page:Kahn - Symbolistes et Décadents, 1902.djvu/34

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mauvais Taine d’art ou quelque bouquin de philosophie lui paraissait nécessaire à son maintien, nous échangeâmes des idées.

Il me montra des bouddhismes à travers Gazalis, je lui révélais Corbière que je venais de découvrir dans les conversations d’un de ses petits cousins qui signait Pol Kalig des vers légers, essayait de faire connaître les Amours Jaunes, et y réussissait plutôt peu. Nous le trouvâmes admirable pour des raisons diverses. Laforgue me vantait Anatole France dont il admirait le Livre de mon ami et Bourget dont il goûtait des curiosités ; il y avait bien des divergences mais l’unité s’était faite sur une réforme jugée généralement nécessaire de toutes, d’un côté au nom du vers libre, de l’autre au nom de la philosophie de l’Inconscient.

Au milieu de tous ces soucis littéraires j’avais fort délaissé les écoles du gouvernement qui devaient me couvrir du service militaire. Aussi m’embarquai-je un beau jour avec une flopée de mes concitoyens pour aller servir ma patrie dans les Afriques. Laforgue m’écrivait et m’envoyait des vers, je lui en rétorquai plus rarement, le maniement du fusil étant peu conciliable avec celui de la plume ; mon vers s’alourdissait, s’uniformisait, le sien se libérait ; mes corbeaux de bagne ne valaient pas ses oiseaux libres, et mes corbeaux étaient rares ; je ne les ai jamais publiés, les voyant avec des yeux clairs. Je n’eus guère là-bas de vie littéraire, sauf un jour un brusque rappel. Le service télégraphique m’employait, et un jour, en dépaquetant des ustensiles que me faisait parvenir l’administration, imprimés, ou bandes, je regardais les papiers d’enveloppe ; une page