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DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS


homme heureux, ou de le rendre bon, de le rendre prudent et attentif à ses intérêts, ou de le rendre vertueux, ce principe soumet la moralité à des mobiles qui la dégradent et lui enlèvent toute sublimité, car il range dans la même classe les mobiles qui nous portent à la vertu et ceux qui nous portent au vice, et, nous apprenant seulement à mieux calculer, il efface toute différence spécifique entre ces deux sortes de mobiles. Quant au sentiment moral 1[1], (quelque faiblesse d’esprit que montrent en l’invoquant ceux qui, faute d’être capables de penser, croient pouvoir appeler le sentiment à leur aide, même lorsqu’il s’agit de lois universelles, et, quoique des sentiments, qui diffèrent infiniment les uns des autres par le degré de leur nature, ne puissent guère donner une mesure égale du bien et du mal, et que celui qui juge par son sentiment n’ait pas le droit d’imposer ses jugements aux autres), ce prétendu sens spécial se rapproche du moins davantage de la moralité et de la dignité qui lui est pro pre, en faisant à la vertu l’honneur de lui attribuer immédiatement la satisfaction et le respect que nous ressentons pour elle, et en ne lui disant pas en face, pour ainsi parler, que ce n’est pas sa beauté, mais notre avantage, qui nous attache à elle.

  1. 1 Je rattache le principe du sentiment moral à celui du bonheur, parce que tout intérêt empirique, produit par l’agrément qu’une chose nous procure, que cela ait lieu immédiatement et sans aucune vue intéressée, ou qu’il s’y joigne quelque considération de ce genre, promet d’ajouter à notre bien-être. Il faut aussi, avec Hutcheson, rattacher le principe de la sympathie pour le bonheur d’autrui au sens moral admis par ce philosophe.