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ANALYSE CRITIQUE

trine générale des devoirs, il a consacré un traité spécial. Le premier porte le titre d’Éléments métaphysiques de la doctrine du droit (1)[1]. Il est précédé, outre la préface (2)[2], de

  1. (1) Dans la préface (trad. franç., p. 4), Kant explique pourquoi il donne à son ouvrage le titre d’Éléments métaphysiques de la doctrine du droit, au lieu de celui de Système métaphysique du droit. C’est que l’idée du droit y devant être aussi considérée dans son application aux cas particuliers fournis par l’expérience et ces cas ne pouvant donner lieu à une division parfaitement méthodique et absolument complète, on ne saurait afficher ici la prétention d’établir un véritable système. Il se bornera donc à poser dans le texte les Éléments ou les principes du système, sans prétendre construire le système entier. L’application de l’idée du droit aux cas de l’expérience sera l’objet de scolies détachés.
  2. (2) Dans cette préface, après l’explication que résume la précédente note, Kant répond à quelques critiques. On lui reprochait souvent l’obscurité de son langage, on l’accusait même de l’affecter pour se donner l’apparence de la profondeur (trad. franc., p. 4 et 5). Ce dernier reprocha était assurément fort injuste, mais le premier l’était beaucoup moins. Il est certain que notre philosophe a beaucoup abusé du langage scolastique. Cela accordé, il faut aussi reconnaître avec lui que, si toute doctrine philosophique, sous peine de se rendre justement suspecte, doit pouvoir se traduire en résultats clairs pour tout le monde et devenir ainsi populaire, la science critique de la raison ou en général la pure métaphysique ne saurait toujours se contenter du langage vulgaire, et qu’elle a souvent besoin de se créer une langue qui exprime exactement ses idées. Disons-le à notre tour : si la philosophie, pour exercer dans le monde la salutaire influence qu’on a le droit d’en attendre, doit sortir de l’école et travailler à se rendre populaire, elle n’a point, comme science, à se soucier de la popularité ; avant tout elle doit rechercher l’exactitude et pousser la sévérité aussi loin que possible. La philosophie populaire est sans doute une fort belle chose ; mais il y a aussi une philosophie scientifique, et l’on ne doit pas, par amour pour la première, enlever à la seconde son caractère propre. Pour que celle-ci soit une science, il faut bien qu’elle s’applique à remplir toutes les conditions d’une véritable science, et que par conséquent sa langue soit scientifique. Seulement l’abus est voisin de l’usage, et je conviens que le philosophe allemand a poussé l’usage jusqu’à l’abus. Il se plaint d’ailleurs avec raison de ces maladroits imitateurs qui introduisent sans nécessité dans le langage ordinaire des expressions techniques, bonnes pour l’école, mais déplacées partout ailleurs ; il serait injuste de le rendre responsable de ce ridicule. S’il ne faut pas, quand on veut traiter La philosophie comme une science, sacrifier à la forme populaire la sévérité scientifique, il ne faut pas non plus, dans des discours et des écrits populaires, parler au public un langage qui n’est fait que pour la science. — On avait encore reproché à Kant (p. 6-8) d’afficher une singulière présomption en prétendant qu’avant l’apparition de la philosophie critique il n’y avait pas encore eu de philosophie. Il n’y a rien là, selon lui, que de fort naturel, puisqu’il ne peut y avoir en définitive qu’une philosophie vraie, de même qu’il n’y a qu’une raison humaine, et qu’ainsi quiconque propose un nouveau système de philosophie déclare par cela seul