Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/550

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bon en soi ; c’est un bien qui sort d’un tout autre champ, d’un champ où l’on ne prend pas du tout en considération les fins qui peuvent s’offrir (par conséquent aussi la somme de ces fins, le bonheur), et où la volonté ne puise pas son principe de détermination dans sa matière (dans un objet qui lui servirait de fondement), mais simplement dans la forme de lois universelles dont ses maximes sont susceptibles. — Aussi ne peut-on pas dire que je rapporte au bonheur cet état que je préfère à toute autre manière d’être. Il faut d’abord que je sois sûr de ne pas agir contrairement à mon devoir ; il m’est toujours permis de chercher ensuite tout le bonheur que je puis concilier avec cet état moralement (je ne dis pas physiquement) bon[1].

Sans doute la volonté doit toujours avoir des motifs, mais ces motifs ne sont pas certains objets, relatifs au sentiment physique, qu’elle prendrait pour fins : ce n’est rien autre chose que là loi absolue elle-même ; et le sentiment qu’a la volonté d’être soumise à cette loi comme à une nécessité absolue, et que l'on appelle le sentiment moral, n’est pas la cause, mais l’effet de la détermination de la volonté ; car nous n’en aurions pas la moindre perception, si cette nécessité intérieure ne précédait en nous. C’est pourquoi il faut ranger parmi les badinages sophistiques[ndt 1] cette vieille chanson, que la première cause de la détermination de la volonté est ce sentiment, c’est-à-dire un plaisir que nous prenons pour fin, et que par conséquent c’est le bonheur (dont ce plaisir est un élément) qui constitue le fondement de toute nécessité objective d’action, c’est-à-dire de toute obligation. Lorsqu’on ne peut s’arrêter dans la recherche de la cause

  1. Unter die vernünftelden Taendeleien.
  1. Le bonheur contient tout (mais aussi rien de plus que) ce que la nature peut nous procurer ; la vertu, au contraire, ce que personne, si ce n’est l’homme, ne peut se donner ou s’ôter à lui-même. Dira-t-on qu’en s’écartant de la vertu l’homme peut s’attirer du moins les reproches de sa conscience et un blâme moral intérieur, par conséquent un mécontentement de lui-même qui le rende malheureux ? on peut l’accorder en tous cas. Mais il n’y a que l’homme vertueux, ou sur le chemin de l’être, qui puisse ressentir ce mécontentement purement moral (qui ne vient pas des conséquences fâcheuses pour lui de sa conduite, mais de son manquement au devoir). Par conséquent ce sentiment n’est pas la cause qui le fait être vertueux, il n’en est que l’effet ; et le principe déterminant de la vertu ne saurait être tiré de ce malheur (si l’on veut appeler ainsi la douleur que cause une mauvaise action).