Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome premier.djvu/265

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cou chez les Caraïbes, ou au cinabre chez les Iroquois), ou à des fleurs, à des coquillages, à des plumes d’oiseaux ; puis aussi, avec le temps, à de belles formes (dans les canots, par exemple, dans les habits, etc.), qui par elles-mêmes ne procurent aucune jouissance ; jusqu’à ce qu’enfin la civilisation, parvenue à son plus haut degré, en cultivant le penchant à la société, fît aux hommes une loi de n’accorder de prix aux sensations qu’autant qu’elles peuvent être universellement partagées. Dès lors, quoique le plaisir que chacun trouve dans un objet soit faible et n’ait pas par lui-même un grand intérêt, cependant l’idée qu’il peut être universellement partagé étend presque infiniment sa valeur.

Mais cet intérêt indirect qu’attache au beau le penchant à la société, et qui est par conséquent empirique, n’est ici d’aucune importance pour nous, car nous n’avons à nous occuper que de ce qui peut avoir un rapport a priori, même indirect, avec le jugement de goût. En effet, si nous pouvions découvrir quelque intérêt de cette nature lié à la beauté, le goût fournirait à notre faculté de juger une transition pour passer de la jouissance sensible au sentiment moral ; et par là, non-seulement on serait conduit à traiter le goût d’une manière plus convenable, mais on obtiendrait aussi un anneau intermédiaire dans la chaîne des facultés humaines a priori, d’où doit dériver toute lé-