Page:Kierkegaard - En quoi l’homme de génie diffère-t-il de l’apôtre?.djvu/28

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de Dieu agisse et souffre sans trêve et jusqu’à la fin de sa vie. Mais qu’un homme soit appelé par une révélation à ne produire que des œuvres littéraires, à faire l’homme d’esprit par moment et puis devenir l’éditeur de ces doutes d’un bel-esprit, cela touche de bien près au blasphème.

Pour l’homme de génie il en est tout autrement. Le génie n’a qu’une téléologie immanente, il se développe par lui-même, le développement du soi se manifestant par son activité. Le génie aura alors sa valeur, et sera peut-être d’une haute portée, toutefois sans se poser téléologiquement par rapport à l’humanité. L’homme de génie vit en lui-même ; il peut vivre ainsi en humoriste content de lui même, sans trop présumer de soi, pourvu qu’il travaille sérieusement à se former l’esprit selon les inspirations de son génie. Ne dites point que le génie reste alors inactif ; il achève peut-être en lui plus de besogne que ne le feraient dix hommes d’affaires, sans pourtant qu’aucune de ses opérations ait son τέλος en dehors du génie. Voilà pourquoi le génie est à la fois humain et orgueilleux. Humain, en ce qu’il ne se rapporte téléologiquement à aucun autre homme, ne présumant point qu’on ait besoin de lui ; orgueilleux, en ce qu’il se rapporte immanemment à lui-même. Le modeste rossignol n’exige point qu’on l’écoute ; il a pourtant assez d’orgueil pour ignorer si on l’écoute ou non. La