Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/12

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a qu’un seul cœur dans le monde entier, aussi bien chez tes compatriotes que chez les miens. En matière d’histoires, ce sont tous des enfants.

— Mais il n’y en a pas d’aussi terribles que les petits si on déplace un mot ou si, en racontant une seconde fois, on modifie les détails, ne fût-ce que d’un seul diablotin.

— Oui, et moi aussi j’ai raconté des histoires aux petits, mais voici comment tu dois faire… (Ses vieux yeux se portèrent sur les peintures gaies du mur, sur la coupole bleu et rouge, et plus haut sur les fleurs éclatantes des poinsetties.) Parle-leur d’abord des choses que toi et eux vous avez vues ensemble. Ainsi leur savoir remédiera à tes imperfections. Parle-leur ensuite de ce que toi seul as vu, puis de ce que tu as entendu dire, et puisque ce sont des enfants, parle-leur batailles et rois, chevaux, diables, éléphants et anges, mais n’omets pas de leur parler d’amour et de choses semblables. Toute la terre est pleine d’histoires pour celui qui écoute le pauvre et ne le chasse pas de son seuil. Il n’y a pas meilleurs diseurs d’histoires que les pauvres ; car ils sont forcés chaque nuit de poser l’oreille à terre.

Après cette conversation l’idée grandit en moi, et Gobind me pressait de questions concernant la santé du livre.

Par la suite, quand nous eûmes été séparés plusieurs mois, il arriva que je dus partir au loin, et j’allai dire au revoir à Gobind.

— À cette heure il faut nous dire adieu, lui dis-je, car je m’en vais faire un très long voyage.