Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/125

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dans la touffeur de l’herbe-jungle. J’appelai de nouveau maître Wardle et l’écho souterrain fit comme moi. Là-dessus je cessai d’appeler pour écouter très attentivement, et je crus entendre quelqu’un rire d’une façon particulièrement offensante. Je suais déjà, de chaleur, mais le rire me fit frissonner. Un rire est totalement déplacé dans l’herbe haute. Il est indécent, aussi bien qu’impoli. Le ricanement s’arrêta, je repris courage et me remis à appeler. À la fin je crus pouvoir situer l’écho quelque part derrière et sous la touffe dans laquelle je me préparais à m’enfoncer de dos avant la disparition de maître Wardle. J’enfonçai mon fusil jusqu’aux chiens entre les tiges d’herbe vers le bas et en avant. Puis je le remuai çà et là, mais il ne me parut pas toucher le sol de l’autre côté de la touffe comme il eût dû le faire. À chaque fois que le dur exercice de pousser un fusil pesant à travers l’herbe drue me faisait lâcher un grognement, le grognement était fidèlement répété d’en dessous. Quand je m’arrêtai pour m’essuyer la face, le ricanement se fit entendre à nouveau, plus distinct que jamais.

Je m’enfonçai dans la touffe, figure en avant, centimètre par centimètre, la bouche béante et les yeux grands ouverts et proéminents. Quand j’eus surmonté la résistance de l’herbe je découvris que je regardais en plein dans un trou noir qui s’ouvrait à même le sol. Que j’étais en réalité couché sur la poitrine et que ma tête dépassait par-dessus l’ouverture d’un puits si profond que je pouvais à peine voir l’eau qui était dedans.