Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/187

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rience inutile. Bien avant le retour de la corvée envoyée pour ramasser du bois sec, les hommes étaient installés auprès de leurs sacs, bouilloires et marmites avaient surgi du pays avoisinant, et se balançaient au-dessus des feux, tandis que le chevreau et les légumes comprimés mijotaient ensemble. Un joyeux cliquetis de ferblanterie de mess s’élevait, mêlé à des voix turbulentes réclamant « encore un peu de ce machin qui a une aile de foie » et à des bordées successives de facéties aiguës comme une baïonnette, et aussi délicates qu’un coup de crosse de fusil.

— Les gars sont de bonne humeur, dit le major. Ils vont bientôt se mettre à chanter. Bah ! une nuit comme celle-ci est suffisante pour les tenir en joie.

Sur nos têtes flambaient les merveilleuses étoiles de l’Inde, lesquelles, au lieu d’être piquées sur un seul plan, comme les nôtres, sont rangées en une perspective régulière, qui entraîne l’œil parmi les ténèbres veloutées de l’espace jusqu’aux derniers confins du ciel même. La terre n’était qu’une ombre grise, plus irréelle que le ciel. Nous pouvions l’entendre respirer légèrement, dans les intervalles de silence entre les hurlements des chacals, la rumeur du vent dans les tamaris, et le murmure intermittent de la fusillade à cinq lieues de là sur la gauche. Une femme indigène se mit à chanter dans quelque case invisible, le train-poste allant à Delhi passa en tonnerre, et un corbeau sur une branche caqueta mi-endormi. Puis, autour des feux, il y eut un si-