Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/245

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beaucoup ensemble dans ce temps-là, et d’une façon nous étions de vrais bons camarades. Mais je l’aurais bien volontiers flanqué à terre de temps à autre. Un jour, je me rappelle, il me dit qu’il aimerait descendre dans les entrailles de la terre, et voir comment le Seigneur avait construit l’ossature des montagnes éternelles. Il était de ces bonshommes qui ont le don de dire les choses. Elles découlaient du bout de sa docte langue, tout comme notre Mulvaney ici, qui aurait fait un très bon prédicateur, s’il avait bien voulu s’en donner la peine. Je lui prêtai un équipement de mineur dans lequel ce petit homme disparaissait presque, et avec sa figure pâle enfoncée dans le collet de la vareuse sous le chapeau de cuir bouilli à larges bords, il avait l’air d’un épouvantail, et il s’accroupit dans le fond de la benne. Je conduisais un train de berlines qui remontait par un bout de plan incliné jusqu’à la grotte où la machine pompait, et où l’on apportait le minerai pour le mettre dans les wagonnets qui redescendaient d’eux-mêmes quand j’avais mis le frein, et les chevaux trottaient par derrière. Tant que nous vîmes le jour nous restâmes bons amis, mais quand nous arrivâmes en plein dans l’obscurité et que nous ne vîmes plus le jour briller au fond du trou que comme un réverbère au bout d’une rue, je me sentis devenir tout à fait mauvais. Ma religion acheva de me quitter quand je me retournai pour le regarder, lui qui venait toujours se mettre entre Liza et moi. On racontait que, quand elle irait mieux, ils se marieraient, et je ne parvenais pas à lui faire dire ni