Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/247

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Il ne lui resterait plus une jambe, à mon sacré bonhomme, pour revenir de Pateley. Plus un bras à mettre autour de la taille de Liza Roantrée. Plus jamais… plus jamais.

Ses grosses lèvres se retroussèrent sur ses dents jaunes, et ce visage congestionné n’était pas joli à voir. Mulvaney eut un hochement de tête approbatif, et Ortheris, gagné par la colère de son ami, épaula son fusil et fouilla des yeux le versant de la montagne, en quête de son gibier, marmottant des invectives où il s’agissait de pierrot, de tuyau de gouttière et de tonnerre de Dieu. Le babil du cours d’eau fournit les menus propos nécessaires jusqu’au moment où Learoyd reprit le fil de son histoire.

— Mais ce n’est pas si facile de tuer un homme comme celui-là. Quand j’eus remis mes chevaux au manœuvre qui prenait ma place et quand je fus en train de faire voir les travaux au prédicateur, en lui criant dans l’oreille pour dominer le tintamarre de la pompe, je vis qu’il n’avait peur de rien ; et quand la clarté de la lampe fit briller ses yeux noirs, je sentis qu’il me dominait à nouveau. Je ne valais pas mieux que Blast enchaîné court et grognant dans les profondeurs de lui-même tandis qu’un chien étranger passait devant lui à bonne distance.

« Tu es un capon et un imbécile », me dis-je en moi-même. Et je luttai de nouveau en imagination contre lui jusqu’au moment où, arrivés au Trou-du-Guivre de Garstang, je m’emparai du prédicateur, le soulevai par-dessus ma tête et, dans l’obscurité la plus profonde, le maintins au-dessus du trou.