Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/250

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il est probable que nous ne nous conduisîmes pas très bien, car les gens pieux nous laissaient tomber et ne savaient pas trop s’ils viendraient nous reprendre. Je suis incapable de vous dire ce que nous fîmes alors, mais je sais que dans le courant de l’hiver je lâchai mon emploi et m’en allai à Bradford. Le vieux Jesse était à la porte de chez lui, dans une longue rue de petites maisons. Il venait de chasser les enfants qui faisaient du bruit avec leurs sabots sur les pavés, car elle était endormie.

« — C’est toi ? qu’il me dit ; mais tu ne peux pas la voir. Je ne vais pas aller la réveiller pour un rien du tout comme toi. Elle dépérit vite, et elle doit s’en aller en paix. Tu ne seras jamais bon à rien au monde et aussi longtemps que tu vivras, tu ne joueras jamais plus de contrebasse. Va-t’en, garçon, va-t’en. »

« Et il me ferma sans bruit la porte à la figure.

« Jesse n’a jamais été mon maître, mais il me semblait qu’il avait à peu près raison. Je m’en allai donc par la ville et me mis à la recherche d’un sergent recruteur. Les vieilles histoires des gens de la chapelle me revinrent en foule à la mémoire. Je n’avais plus qu’à m’en aller, et c’était là le chemin traditionnel pour ceux de mon espèce. Je m’engageai sur-le-champ, reçus le shilling de la Veuve, et me fis épingler à mon chapeau une cocarde de rubans.

« Mais le lendemain je m’en retournai à la porte de David Roantrée, et ce fut Jesse qui vint m’ouvrir. Il me dit :

« — Tu es revenu en arborant les couleurs du