Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/257

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dans la direction de la fusillade, il devient singulièrement et peu patriotiquement satisfait de son sort. En ces occasions-là on l’a même entendu acclamer la Reine avec enthousiasme.

Mais l’idée de saboter l’armée était, du point de vue de Tehama street, entièrement judicieuse. Il n’y a pas l’ombre de stabilité dans la politique d’un gouvernement anglais, et les serments les plus sacrés de l’Angleterre, même transcrits sur parchemin, trouveraient bien peu d’acheteurs dans les colonies et dépendances qui ont vu leurs espérances trompées. Mais à l’Angleterre il reste toujours son armée. Sauf en matière d’uniforme et d’équipement, celle-ci est immuable. Les officiers ont beau écrire aux journaux pour demander les têtes des Horse Guards à défaut de meilleur redressement de torts ; les hommes ont beau se déchaîner à travers une ville de province et émouvoir sérieusement les tenanciers de bars ; malgré tout, ni les officiers ni les hommes ne sont d’un tempérament à se mutiner à la façon continentale. Les gens d’Angleterre, quand ils se donnent la peine de penser un tant soit peu à l’armée, sont, et avec justice, absolument persuadés qu’elle est digne d’une confiance absolue. Supposez un instant leur émoi en apprenant que tel et tel régiment se sont mis en révolte déclarée pour des causes directement dues au traitement que l’Angleterre inflige à l’Irlande. Il est probable qu’ils enverraient illico le régiment au peloton d’exécution, et feraient ensuite leur examen de conscience sur leurs devoirs envers Erin ; mais jamais plus ils ne seraient