Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’était plus le sultan de Zanzibar, mais un chauffeur qui avait très chaud. Il s’en alla donc sur le pont et tint sa vareuse ouverte à la brise matinale, jusqu’au moment où un coutelas, filant tel un poisson volant, vint se ficher dans la charpente du rouf de la coquerie, à un centimètre de son aisselle droite. Il s’enfuit en bas sans plus attendre, et tâcha de se rappeler ce qu’il pouvait avoir dit au propriétaire de l’arme. À midi, quand tous les lascars du bord furent réunis pour manger, Nurkîd s’avança au milieu d’eux, et comme c’était un homme placide qui tenait beaucoup à sa peau, il ouvrit les négociations en disant :

— Hommes de ce navire, hier soir j’avais bu, et ce matin je sais que j’ai dû me mal conduire envers l’un ou l’autre d’entre vous. Que celui-là se nomme, afin que je puisse le rencontrer face à face et lui dire que j’étais saoul.

Pambé mesura la distance qui le séparait de la poitrine nue de Nurkîd. S’il sautait sur lui il risquait d’attraper un croc en jambe, et un coup lancé de loin à la poitrine se traduit parfois par une simple brèche dans le sternum. Il est difficile de passer entre les côtes à moins que l’individu ne soit endormi. Pambé donc ne dit rien ; et les autres lascars non plus. À l’instant leurs visages perdirent toute expression, comme c’est la coutume des Orientaux quand il y a du meurtre dans l’air ou quelque chance de grabuge. Nurkîd examina longuement tous ces yeux blancs. Il n’était qu’un Africain, et ne savait pas déchiffrer les physionomies. Un gros