Page:Kipling - Le Livre de la jungle, illustré par de Becque.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

proche vautour, à des milles plus loin, le verrait choir et suivrait, et ainsi de suite, de proche en proche, et qu’avant même qu’ils fussent morts il y aurait là une vingtaine de vautours affamés venus de nulle part. Tantôt ils dorment et se réveillent et se rendorment, et tressent de petits paniers d’herbe sèche et y mettent des sauterelles, ou attrapent deux mantes religieuses pour les faire lutter ; ou enfilent en colliers des noix de jungle rouges et noires, ou guettent soit le lézard qui se chauffe sur la roche soit le serpent à la poursuite d’une grenouille près des fondrières. Tantôt ils chantent de longues, longues chansons avec de bizarres trilles indigènes à la chute des phrases, et le jour leur semble plus long qu’à la plupart des hommes la vie entière, et peut-être ils élèvent un château de boue avec des figurines d’hommes, de chevaux, de buffles, modelées en boue également, et placent des roseaux dans la main des hommes, et prétendent que ce sont des rois avec leurs armées, ou les dieux qu’il faut adorer. Puis le soir vient, les enfants rassemblent les bêtes en criant, les buffles s’arrachent de la boue gluante avec un bruit semblable à des coups de fusil partant l’un après l’autre, et tous prennent la file à travers la plaine grise pour retourner vers les lumières qui scintillent là-bas au village.

Chaque jour Mowgli conduisait les buffles à leurs marécages, et chaque jour il voyait le dos de Frère Gris à un mille et demi dans la plaine (il savait ainsi que Shere Khan n’était pas de retour), et chaque jour il se couchait sur l’herbe, écoutant les rumeurs qui s’élevaient autour de lui, et rêvant aux anciens jours dans la Jungle. Shere Khan