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le chien d’or

sera complètement épuisé ! Promettre, ce n’est point payer ! clama le vieux militaire ; de même qu’avoir faim ce n’est pas manger ! Je voudrais que personne, pas plus moi que les autres, n’eût jamais ce dangereux pouvoir de transformer des chiffons en monnaie, et de faire circuler des valeurs fictives au lieu de valeurs réelles ! Les habitants connaissent le prix des peaux de castors qu’ils reçoivent en échange de leur blé, mais ils ne savent pas ce que représentent ces morceaux de papier qui peuvent être aussi nombreux et aussi inutiles que les feuilles de la forêt.

V.

La discussion fut longue. Le gouverneur écouta avec son silence approbateur, les adversaires de la mesure, mais il avait reçu ordre, en secret, de supporter le projet de l’Intendant. Il sanctionna donc, bien malgré lui, le décret qui devait inonder la Colonie d’assignats sans valeur et que personne ne rachèterait, ce qui devait augmenter la misère du peuple et préparer l’asservissement à l’étranger.

Les papiers, les mémorandums, les documents de toutes sortes étaient mis de côté à mesure que le conseil dépêchait son travail, et déjà sur la grande table tout à l’heure fort chargée, il n’y avait presque plus rien. Plusieurs des gentilshommes désiraient l’ajournement, car la séance durait depuis longtemps et ils étaient fatigués. Les deux avocats ne plaidèrent pas et leur cause fut remise à un autre jour. Ils n’en furent pas fâchés, car si le délai coûtait quelque chose à leurs clients, il leur rapportait une augmentation d’honoraires.

Les avocats de la vieille France, dont parle Lafontaine dans une fable charmante, ne différaient guère de leurs confrères à la longue toge de la Nouvelle-France ; ils ne différaient pas du tout même sous le rapport de l’habileté à préparer un mémoire de frais et à utiliser les ruses du métier. Alors comme aujourd’hui, et aujourd’hui comme alors, l’avocat mange l’huître et les plaideurs se divisent l’écaille.