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le chien d’or

III.

Mère Malheur se prit à rire d’un rire hideux, en mettant ses longs doigts crochus sur les épaules maigres de sa maîtresse :

— À quoi elles serviraient, les femmes, dites-vous ! à tenter l’homme, et à jeter la semence de tous les maux !

— Nous deux, par exemple, mère Malheur, nous sommes terriblement tentantes ! repartit la Corriveau en riant à son tour d’un air cynique.

— Eh ! nous avons eu notre jeunesse ! Vous vous en souvenez ; nous n’étions pas les moins séduisantes, ni les plus insensibles.

— Bah ! s’écria la Corriveau, j’aurais voulu être homme, moi ! le destin s’est fièrement trompé en me faisant femme !

— Je suis contente d’être femme, moi, dame Dodier, oui, ma foi ! Les hommes ne sont pas capables d’être la moitié aussi méchants que les femmes, surtout quand elles sont jeunes et jolies…

Et elle rit tant que ses yeux rouges et chassieux se remplirent de larmes.

— C’est vrai ce que vous dites-là, mère Malheur ! les plus belles femmes sont toujours les plus méchantes. Belle et cruelle ! belle et cruelle ! c’est un vieux dicton. Mais bah ! nous sommes toutes pareilles ; nous portons toutes la marque de Satan…

La Corriveau avait l’air d’Hécate en prononçant ce blasphème contre la femme.

— La marque de Satan ! reprit mère Malheur, je l’ai sur un bras, voyez ! J’ai été, un jour, citée devant la haute cour d’Arras, à cause de ce signe de sorcellerie. Mais le juge, un imbécile ! a déclaré que c’était un grain de beauté et que je n’étais pas du tout sorcière pour cela. Tout de même, je l’ai ensorcelé comme il faut. Le pauvre garçon ! il mourut dans le cours de l’année et le diable vint, sous la forme d’un chat, se coucher sur son tombeau, jusqu’à ce que ses amis eussent planté une croix. Je