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espérances, se suicide le 21 novembre 1811, au bord du lac de Wansee, en compagnie d’une femme qui, elle aussi, désirait la mort.

Telle vie, telles œuvres. La Famille Schroffenstein, tragédie du soupçon et de la défiance, met en conflit les deux branches d’une curieuse famille entre lesquelles un contrat fatal allume une haine implacable. Penthésilée, œuvre supérieure à la précédente par la composition, est la personnification la plus parfaite du génie exalté de Kleist. Reine des Amazones, Penthésilée ne peut aimer Achille que si elle le vainc au combat, veut en triompher seule, s’élance à sa poursuite à travers d’abrupts rochers, ne peut supporter la pensée d’avoir été vaincue en une première rencontre, tue enfin l’objet de son amour, le livrant à la morsure des chiens et le dévorant elle-même de ses propres dents. À Penthésilée s’oppose l’esclave soumise, Catherine de Heilbronn, qui aime, comme Kleist eût voulu être aimé sans doute, le comte de Strahl. À côté de ces drames, non moins étranges et vigoureux, les deux grands drames patriotiques : la Bataille d’Arminius, destinée à montrer aux Allemands comment, par une guerre de guérillas, ils pourraient venir à bout de Napoléon et à glorifier, aux dépens de la race latine, le génie germanique ; le Prince de Hombourg, qui traite un sujet plus moderne et nous donne, à côté du drame proprement dit, le portrait du poète lui-même, de celui qui se tresse une couronne de laurier en son rêve de somnambule, passe des grands espoirs aux profonds découragements, et, condamné à mort, médite les détails de son exécution.

Mais, témoins de la souplesse du génie de Kleist, deux comédies s’ajoutent à ces drames : Amphitryon et celle que le présent volume donne en traduction au public. La Cruche cassée est un vrai tableau de genre à la Téniers, un des premiers modèles du drame réaliste en Allemagne, de couleur un peu crue, mais singulièrement vigoureuse et nette. Il s’agit ici d’un juge qui est le principal coupable dans une affaire qu’il se voit obligé d’instruire. C’est à Berne, dans la chambre de son ami Zschokke, que Kleist, en 1801, avait conçu l’idée première de sa pièce. Il y avait là, suspendue au mur, une gravure représentant un couple d’amoureux, une vieille femme qui crie, un juge piteux. Un concours entre les amis fut décidé, mais Kleist n’acheva sa pièce que plus tard, à Berlin.

E. V.
Agrégé de l’Université.