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Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/153

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présent au socialisme, consistait à dire que, si la question sociale intéresse les ouvriers des villes, elle n’a pas sa raison d’être pour les campagnes ; que si les ouvriers des villes acceptent volontiers les idées d’abolition de la propriété individuelle et se passionnent pour l’expropriation des fabricants et des usiniers, il n’en est pas de même pour les paysans ; ceux-ci, nous disait-on, se méfient des socialistes, et si, un jour, les ouvriers des villes essayaient de réaliser leurs plans, les paysans sauraient vite les mettre à la raison.

Nous avouons que, il y a trente ou quarante ans, cette objection avait quelque apparence de justesse, du moins pour certains pays. Une sorte de bien-être dans telle région, beaucoup de résignation dans telle autre faisaient que, en effet, les paysans ne manifestaient que peu ou point de mécontentement. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. La concentration des immeubles entre les mains des plus riches et le développement toujours croissant d’un prolétariat des campagnes, les lourds impôts dont les États écrasent l’agriculture, l’introduction dans l’agriculture de la grande production industrielle à la machine, la concurrence américaine et australienne, enfin l’échange plus rapide des idées qui pénètrent aujourd’hui jusque dans les hameaux les plus isolés — toutes ces circonstances ont fait que les conditions de la culture ont changé à vue d’œil depuis trente ans ; en ce moment l’Europe se trouve en présence d’un vaste mouvement agraire, qui va bientôt l’embraser en entier et donner à la prochaine révolution une portée bien autrement grande que celle qu’elle aurait eue si elle se limitait seulement aux grandes villes.