Page:Kropotkine - L’Anarchie, sa philosophie, son idéal.djvu/22

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comprend cela, puisqu’il rêve de les couvrir de récoltes qui auraient — il le sait — porté l’abondance dans les villages où l’on se nourrit de pain à peine arrosé de piquette.

Le mineur, lorsque, trois jours par semaine, il est forcé de se promener les bras ballants, pense aux tonnes de charbon qu’il pourrait extraire et dont on manque partout dans les ménages pauvres.

Le travailleur, lorsque son usine chôme et qu’il court les rues à la recherche de travail, voit les maçons chômer comme lui, alors qu’un cinquième de la population de Paris habite des taudis malsains ; il voit les cordonniers se plaindre de manque d’ouvrage alors que tant de gens manquent de chaussures, — et ainsi de suite.

En effet, si certains économistes se plaisent à faire des traités sur la sur-production et s’ils expliquent chaque crise industrielle par cette cause, ils seraient cependant bien embarrassés si on les sommait de nommer un seul article que la France produise en quantités plus grandes qu’il n’en faut pour satisfaire les besoins de toute la population. Ce n’est certainement pas le blé : le pays est forcé d’en importer. Ce n’est pas non plus le vin : les paysans n’en boivent que bien peu et lui substituent la piquette, et la population des villes doit se satisfaire de produits frelatés. Ce ne sont évidemment pas les maisons : des millions vivent encore dans des chaumières à une ou deux ouvertures. Ce ne sont même pas les livres, bons ou mauvais, qui sont encore un objet de luxe pour le village. Un seul article est produit en quantités plus grandes qu’il n’en faut, — c’est le budgétivore ; mais cette marchandise ne figure pas dans les cours d’économie politique,