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niveau de l’âge de pierre, on voit dans leurs petites communautés la solidarité pratiquée au plus haut degré envers tous les membres de la communauté.


Voilà pourquoi ce sentiment, cette pratique de solidarité, ne cessent jamais, pas même aux époques les plus mauvaises de l’histoire. Lors même que des circonstances temporaires de domination, de servitude, d’exploitation font méconnaître ce principe, il reste toujours dans la pensée du grand nombre, si bien qu’il amène une poussée contre les mauvaises institutions, une révolution. Cela se comprend : sans cela, la société devrait périr.

Pour l’immense majorité des animaux et des hommes, ce sentiment reste, et doit rester à l’état d’habitude acquise, de principe toujours présent à l’esprit, alors même qu’on le méconnaisse souvent dans les actes.

C’est toute l’évolution du règne animal qui parle en nous. Et elle est longue, très longue : elle compte des centaines de millions d’années.

Lors même que nous voudrions nous en débarrasser, nous ne le pourrions pas. Il serait plus facile à l’homme de s’habituer à marcher sur ses quatre pattes que de se débarrasser du sentiment moral. Il est antérieur, dans l’évolution animale, à la posture droite de l’homme.

Le sens moral est en nous une faculté naturelle, tout comme le sens de l’odorat et le sens du toucher.


Quant à la Loi et à la Religion qui, elles aussi, ont prêché ce principe, nous savons qu’elles l’ont simplement escamoté pour en couvrir leur marchandise — leurs prescriptions à l’avantage du conquérant, de l’exploiteur et du prêtre. Sans ce principe de solidarité dont la justesse est généralement reconnue, comment auraient-elles eu la prise sur les esprits ?

Elles s’en couvraient l’une et l’autre, tout comme l’autorité qui, elle aussi, réussit à s’imposer en se posant pour protectrice des faibles contre les forts.

En jetant par-dessus bord la Loi, la Religion et l’Autorité, l’humanité reprend possession du principe moral qu’elle s’est laissé enlever afin de soumettre à la critique et de le purger des adultérations dont le prêtre, le juge et le gouvernant l’avaient empoisonné et l’empoisonnent encore.

Mais nier le principe moral parce que l’Église et la Loi l’ont exploité, serait aussi peu raisonnable que de déclarer qu’on ne se lavera jamais, qu’on mangera du porc infesté de trichines et qu’on ne voudra pas de la possession communale du sol, parce que le Coran prescrit de se laver chaque jour, parce que l’hygiéniste Moïse défendait aux Hébreux de manger le porc, ou parce que le Chariat (le supplément du Coran) veut que toute terre restée inculte pendant trois ans retourne à la communauté.


D’ailleurs, ce principe de traiter les autres comme on veut être traité soi-même, qu’est-il, sinon le principe même de l’Égalité, le principe