Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/114

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Tout marcha admirablement. Nesadov prit son dessin et Ganz le corrigea en quelques minutes qui nous parurent une éternité. Enfin il revint à sa place ; il s’arrêta un moment, nous jeta un regard et s’assit... Toute la classe se retourna d’un seul coup sur les bancs et les règles tambourinèrent gaiement sur les pupitres, tandis que quelques-uns d’entre nous criaient au milieu du bruit : « A la porte, Ganz ! A bas Ganz ! » Le tapage était assourdissant, toutes les classes savaient que Ganz avait sa « représentation à bénéfice ». Il resta là, debout, murmurant quelque chose. Enfin il sortit. Un officier accourut : le bruit continua. Alors le sous-inspecteur entra et ensuite l’inspecteur. Le bruit cessa. Ce fut le tour des remontrances.

« Le premier aux arrêts, à l’instant ! » ordonna l’inspecteur, et comme j’étais le premier de la classe je fus conduit au cachot. Cela m’empêcha de voir ce qui suivit. Le directeur vint ; Ganz fut prié de nommer les meneurs, mais il ne put nommer personne. Il répondit : « Tous m’ont tourné le dos et ont commencé le bruit. » Ensuite on fit descendre la classe, et bien que l’usage des châtiments corporels eût été complètement abandonné à l’école, on frappa à coups de verges les deux élèves qui avaient été dénoncés comme ayant demandé du feu, sous prétexte que le « roulement » était la revanche de leur punition.

J’appris ce qui s’était passé dix jours plus tard, lorsqu’il me fut permis de retourner en classe. Mon nom qui était inscrit au tableau d’honneur de la classe fut effacé, ce qui me laissait indifférent, mais je dois avouer que les dix jours de cellule sans livres, me parurent un peu longs, si bien que je composai — en vers horribles — un poème qui glorifiait les hauts faits de la quatrième.

Naturellement nous étions devenus les héros de l’école. Pendant environ un mois nous dûmes conter toute l’affaire aux autres classes, et on nous félicita d’avoir agi avec une si parfaite unanimité que