Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

part décisive prise par l’impératrice dans la création de lycées de jeunes filles, qui dès le début furent dotés d’une excellente organisation et reçurent un caractère vraiment démocratique. Ses relations amicales avec Ouchinski empêchèrent ce grand pédagogue de partager le sort de tous les hommes de marque de l’époque — c’est-à-dire l’exil.

Ayant reçu elle-même une excellente éducation, Maria Alexandrovna tâchait de donner à son fils aîné la meilleure éducation possible. On choisit comme professeurs les hommes les plus distingués de toutes les branches du savoir, et elle s’adressa même à Kaéline, quoiqu’elle connût très bien ses rapports avec Herzen. Lorsqu’il lui signala cette amitié, elle répondit qu’elle n’en voulait pas à Herzen, si ce n’est son langage violent à l’égard de l’impératrice douairière.

L’héritier présomptif était très beau — peut-être même d’une beauté trop féminine. Il n’était pas du tout fier, et pendant les levers il causait en bon camarade avec les pages de chambre. (Je me souviens même qu’à la réception du corps diplomatique le jour de l’an, j’essayai de lui faire apprécier la simplicité de l’uniforme de l’ambassadeur des États-Unis, en comparaison des uniformes aux couleurs de cacatoès arborés par les autres ambassadeurs.) Cependant ceux qui le connaissaient le dépeignaient comme un profond égoïste, absolument incapable de se lier à quelqu’un. Ce trait de caractère était encore plus marqué chez lui que chez son père. Quant à son éducation, toutes les peines prises par sa mère furent vaines. Au mois d’août 1861, ses examens, qu’il passa en présence de son père, furent très piteux, et je me souviens que quelques jours après ses examens, Alexandre II, à une revue où le prince héritier commandait les troupes et pendant laquelle il commit une faute, lui cria tout haut, si bien que tout le monde put entendre : « Tu n’as pas même pu apprendre cela ! » Il mourut comme on sait à l’âge de vingt-deux ans d’une maladie de la moelle épinière.