Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/184

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ses chefs — à conduire à la Banque ses hommes et ses machines.

Le ministère lui-même n’était pas en feu ; c’étaient les archives qui brûlaient et un grand nombre de jeunes garçons, surtout des cadets et des pages, se mirent avec les employés du ministère à transporter les liasses de papiers hors du bâtiment en feu et à en charger des voitures. Souvent une liasse tombait, et le vent, s’emparant de ses feuilles, les dispersait sur la place. A travers la fumée, on pouvait voir les lueurs sinistres d’un grand incendie qui faisait rage dans les chantiers de bois de l’autre côté du canal.

L’étroite ruelle qui séparait le Corps des Pages de l’Apraxine Dvor était dans un état déplorable. Les boutiques qui s’y trouvaient étaient pleines de soufre, d"huile, de térébenthine et autres substances très inflammables, et d’immenses langues de flamme de toutes couleurs en jaillissaient avec des explosions, léchaient les toits de l’aile du corps qui bordait la ruelle de l’autre côté. Les fenêtres et les pilastres au-dessous du toit commençaient déjà à fumer. Les pages et quelques cadets, après avoir déménagé les chambres, lançaient de l’eau dans de vieux barils qu’on remplissait avec des seaux. Quelques pompiers montés sur le toit brûlant criaient continuellement : « De l’eau ! de l’eau ! » sur un ton déchirant. Je ne pouvais supporter ces cris. Je me précipitai dans la rue Sadovaïa où je contraignis par la force un des hommes de la brigade des pompiers de la police qui conduisait un baril, à entrer dans notre cour et à fournir de l’eau à notre pompe. Mais lorsque j’essayai de recommencer, je me heurtai au refus le plus net de la part du pompier. « Je passerai au conseil de guerre, dit-il, si je vous obéis. » De tous côtés, mes camarades me pressaient : « Va trouver quelqu’un — le chef de la police, le grand-duc, n’importe qui — et dis-lui que si nous n’avons pas d’eau, il nous faudra