Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/188

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réformatrice d’Alexandre : il était clair qu’il nagerait de plus en plus dans les eaux réactionnaires. Pour les hommes qui réfléchissaient, il était évident que l’émancipation des serfs, avec la condition de rachat qui leur était imposée, aurait pour résultat leur ruine certaine, et des proclamations révolutionnaires furent lancées en mai à Pétersbourg, invitant le peuple et l’armée à une révolte générale et demandant aux classes cultivées d’insister sur la nécessité d’une Convention nationale. Dans de telles circonstances la désorganisation de la machine gouvernementale aurait pu entrer dans les plans de quelques révolutionnaires.

Enfin le caractère imprécis de l’émancipation avait produit une grande fermentation parmi les paysans, qui constituent une part considérable de la population des villes russes. Et à travers toute l’histoire de la Russie, chaque fois qu’une agitation a commencé il y a eu des lettres anonymes menaçant d’incendie, et les menaces ont été souvent mises à exécution.

Il est possible que l’idée de mettre le feu au marché Apraxine se soit présentée à certains hommes du parti révolutionnaire, mais ni les enquêtes les plus sévères, ni les arrestations en masse auxquelles on procéda dans toute la Russie et la Pologne immédiatement après l’incendie, ne mirent sur la trace de la moindre indication montrant que tel était réellement le cas. Si on avait pu trouver quelque chose de ce genre, le parti réactionnaire aurait su s’en servir. En outre, beaucoup de mémoires et de correspondances de cette époque ont été publiés depuis, mais on n’y peut relever aucun fait à l’appui de cette thèse.

Au contraire, lorsque des incendies analogues éclatèrent dans quelques villes de la Volga et en particulier à Saratov, et lorsque Jdanov, membre du Sénat, fut chargé par le tsar de faire une enquête, il revint avec la ferme conviction que l’incendie de Saratov était l’œuvre du parti réactionnaire. Dans ce parti on croyait généralement qu’il serait possible de décider Alexandre II à